Super-héros & Super-héroïnes : l’école des pouvoirs
Cela commence souvent à l’école : sa cour de récré, ses échanges et ses jeux marquent l’entrée des enfants dans un nouvel univers de fiction, celui des super-héros.
Il y a bien sûr ceux qui ont bercé notre propre jeunesse : Spiderman ou encore Batman, que les plus jeunes aiment souvent pour des raisons qui peuvent nous laisser… perplexes ! « J’aime trop Spiderman parce qu’il n’a pas peur des araignées, alors que moi j’en ai trop peur ! »* (Camille 5 ans*) « Batman, j’aime bien parce que c’est une chauve-souris. » (Nathan 4 ans) Pas besoin d’en savoir beaucoup sur le personnage, un détail peut suffire à les séduire et les captiver !
Mais les super-héros d’aujourd’hui ne se limitent plus aux personnages de Marvel ou de DC Comics : ils s’appellent également les Pyjamasques, Ladybug et Chat Noir, voire Sangoku ou Naruto.
Car pour être un super-héros, il faut avoir des super-pouvoirs, un costume spécifique et surtout… une double vie !
Une double vie souvent difficile : le super-héros est la plupart du temps orphelin (c’est le cas de Batman, Superman, Naruto ou encore de Sangoku) ou affublé de « points faibles » qui rendent sa vie de personnage ordinaire assez compliquée et font écho aux difficultés des enfants à grandir : timidité, maladresse, manque de confiance en soi, manque de popularité à l’école… (c’est le cas… de tous les super-héros !).
La magie opère ainsi au-delà des costumes et des super-pouvoirs, au-delà de la question du genre : en devenant des super-héros, ils transforment leur personnalité et perdent complexes et faiblesses. Le rêve !
Cette vie ordinaire semée de détails où le personnage vit les mêmes choses que l’enfant (il prend son petit-déjeuner, va à l’école…) permet une forte identification de l’enfant au héros : il rejoint ce que l’enfant connaît du réel. Il est un peu comme lui. Tandis que dans sa vie de super-héros, il réalise des supers exploits et revêt une personnalité « super cool » dont l’enfant rêve. Il rejoint alors son monde imaginaire et fantasmagorique.
En fait, le genre du personnage n’est pas déterminant pour plaire aux enfants, attirés d’abord par ses caractéristiques à la fois ordinaires et extraordinaires.
C’est plutôt dans le rapport aux jeux et aux produits dérivés que des différences émergent entre les garçons et les filles.
À 4-5 ans garçons et filles sont dans le jeu d’imitation : un accessoire suffit (une cape, un masque ou même un bras levé !) pour faire comme un super-héros. C’est l’action qui prime.
À partir de 6-7 ans, place à l’identification. Les enfants se mettent dans la peau du personnage. Naturellement, il est plus facile de se mettre dans la peau d’une femme quand on est une fille, et d’un homme quand on est un garçon. C’est l’âge d’un goût prononcé pour les déguisements… mais aussi de la prise de conscience de la sexuation. Même si les filles continuent bien sûr à aimer Spiderman par exemple, elles vont plutôt jouer à être Wonder Woman ou Ladybug… et revêtir leurs costumes !
À cet âge, les super qualités morales du super-héros commencent à être intégrées : il y a une mission à accomplir !
De ce côté-là, les filles et les garçons se distinguent : les premières privilégient la cause dans les histoires qu’elles se racontent, tandis que les garçons sont plus dans l’action, le combat. Schématiquement, ils sont plus dans l’idée de gagner contre les méchants, tandis que les filles sont plus dans la démarche de sauver un protagoniste (personnage, animal…) d’une situation de danger. L’un est plus dans l’affrontement quand l’autre est dans la sauvegarde. Mais tous deux sont dans le registre de la justice et du courage.
Les filles intègrent également souvent une dimension sentimentale à leurs jeux : réelle quand il s’agit de jouer à Miraculous, imaginée quand il s’agit de marier leur figurine Wonder Woman à celle de Spiderman ! « Des fois, elle se marie aussi avec le Hulk de mon frère… Ou alors c’est Barbie ! » (Emma 9 ans)
Cette dimension sentimentale est importante dans leur goût pour Miraculous. L’idylle entre Marinette/Adrien et Ladybug/Chat Noir participe à la popularité de la série auprès des filles, mais ne semble pas vraiment primer chez les garçons !
Miraculous est également une série qui permet des jeux mixtes – notamment dans la cour de récré – bien plus que n’importe quel autre environnement de super-héros. Une série qui fédère les filles et les garçons et dans laquelle les deux genres tiennent une place héroïque. À la récré, les histoires des super-héros sont prétexte à des jeux de rôles où tout l’enjeu consiste à obtenir les rôles les plus prisés ! « Moi je suis toujours un compagnon, c’est nul ! Ils font que suivre. » (Alice 8 ans)
Des jeux où l’objectif consiste essentiellement « à combattre les méchants en les attrapant ». (Lila 9 ans)
Si les filles ont peu d’attirance pour les rôles de vilains – « Les méchants, c’est toujours les garçons. » (Vicky 8 ans)-, les garçons leur trouvent un certain attrait : « Les méchants, souvent ils sont très forts aussi, et très malins ! » (Driss 8 ans).
Quand elles nous parlent de leurs super-héroïnes (certes encore peu nombreuses, l’univers des super-héros demeurant encore très masculin), les filles ne les abordent jamais sous l’angle de la beauté. Elles ont beau être « badass »** ces super-héroïnes, les filles retiennent leurs super-pouvoirs, leurs qualités, leur double-vie, etc. La beauté, c’est bon pour les princesses ! À ce titre, Elsa, la Reine des Neiges, qui a pourtant beaucoup d’attributs de la super-héroïne, n’en est pas une pour les filles. Elle est avant tout une princesse, « trop belle et qui chante trop bien » !
N’est pas super-héroïne qui veut 😊 !
*Les prénoms des enfants ont été changés. Les verbatims sont issus de nos entretiens avec les enfants.
** Personne qui déchire
Auteur : Delphine Quelin, Responsable du Planning Stratégique, dquelin@juniorcity.fr
Article paru dans La revue du Jouet, Mars 2021